Stigmates

Une rafale de pistolet mitrailleur, un obus, une roquette qui fissure un pan entier d'immeuble. Votre oeil de touriste n'en revient pas. Appareil photo en bandoulière, vous venez de passer la vieille ville de Zadar, son église, sa place éclatante en pierre blanche qui a fait sa réputation, ses glaciers, ses jolies filles. Comme un uppercut, comme un but contre son camp, comme un pneu qui crève sur l'autoroute, des impacts. Le mur extérieur d'une maison laisse apparaître des trous de la taille d'une pièce de deux euros. Au croisement suivant, c'est la paume de la main qui peine à masquer l'indice d'une guerre toute récente.

Destination prisée des promeneurs allemands et des retraités français, cette confrontation est une aubaine. A l'heure où l'on rappelle sans cesse au devoir de mémoire, comment oublier que le pays et ses voisins se sont déchirés violemment pendant quatre ans. La fin de la guerre civile ex-yougoslave, c'était il y a tout juste 15 ans, et personne aujourd'hui ne semble encore s'en souvenir, à part quelques technocrates bruxellois inspirés. La Croatie, qui postule à une place au sein de l'Union Européenne, doit en effet toujours fournir des garanties sur les droits de l'Homme, et notamment "tout faire" pour livrer Ante Gotovina à la justice internationale.

Gotovina, le "libérateur", à la tête de l'armée croate de reconquête, mais aussi le "liquidateur", responsable d'une véritable épuration ethnique à l'encontre des Serbes en particulier. De loin, un scandale. De près, la problématique semble plus nuancée. Des portraits du "héros" s'affichent en 4 par 3 le long des nationales. Zadar, assiégée deux ans durant, lui voue un vrai culte. On saisit dès lors un peu mieux les difficultés rencontrées par le gouvernement croate, qui se heurte en plus à la Slovénie dans une sombre histoire de pêche au gros.

Mais aujourd'hui, la Slovénie, c'est l'Europe. Un poste frontière sépare les deux pays. Contrôle des passeports des ressortissants croates, passage express pour les Français, les Allemands ou les Hollandais. Une même langue (ou presque), un héritage culturel identique, mais un mur. Celui de l'UE. Jusqu'en 1989, il y avait le mur de Berlin. Aujourd'hui, il y a ceux qui sont DANS l'UE et ceux qui sont DEHORS. Il y a les murs visibles, que l'on peut toujours fissurer, et d'autres invisibles que l'on ne peut abattre.