La Quinzaine de Roland-Garros commence à peine et déjà des souvenirs m'assaillent. Je me revois, assis devant la télévision de 13h à 21h, une bouteille de coca et quelques trucs à grignoter sous la main - c'était ma période régime dissocié - avide de voir chaque match sur la mythique terre battue parisienne. Décortiquer, imiter, analyser chaque coups de chaque champion, c'était l'occasion unique proposée par la télévision publique non cryptée en France.

J'entends encore les râles de douleur de Bruguera, je ressens la peine d'un Sampras au soir d'une élimination en demi-finale, je suis toujours abasourdi de la brutalité d'un Muster, peut-être le seul à rivaliser avec Nadal en termes de "rouleau compresseur"... Et puis un jour, en 1997, IL est apparu. Chevelure dorée, bandeau et t-shirt jaune et bleu, un coup droit comme une flèche, Gustavo Kuerten n'est que 66e joueur mondial avant le grand rendez-vous de la Porte d'Auteuil. Mais que faire ? Que faire face à ce virtuose, ce précurseur, ce révolutionnaire de la balle jaune ? Intraitable !

si Guga a à ce point dominé la terre battue l'espace de quelques années, c'est parce qu'avant tout le monde, il avait compris qu'on pouvait y jouer comme sur toute autre surface : un mètre dans le court et en frappant tôt. J'ose affirmer ici que si André Agassi entre dans l'Histoire du tennis en 1999 en remportant un Roland-Garros (il aura ainsi gagné chacun des tournois du Grand Chelem au moins une fois), c'est grâce à Gustavo Kuerten. Le Brésilien a décomplexé les joueurs de "dur" qui n'en pouvait plus des échanges de 20 minutes. Mais frappe bon sang ! La terre est lente ? Frappe plus fort !

Quand je repense à Kuerten, j'ai toujours cette petite nostalgie. Aucun joueur depuis ne m'a autant enthousiasmé. Bien sûr, j'étais fan de Pete Sampras, de cette main magnifique sans égal. Bien sûr, je me régal du relâchement et de la classe suprême de Roger Federer. Bien sûr que Rafael Nadal ne me laisse pas insensible entre violence brute et coups en touché hallucinants. La folie d'Ivanisevic, les pétages de plomb de Safin, ça me parle aussi. Mais Guga, ça reste Guga. Un vent de fraîcheur. Un ouragan de bonne humeur, un visionnaire attachant et attendrissant.

Quelle tristesse de le voir arrêter sa carrière sur une sale blessure à la hanche. Une sortie par la petite porte même si Roland-Garros lui livrera un dernier hommage en 2008. Une invitation, un match sur le central face à un Français - Paul-Henri Mathieu - et une ovation peut-être sans précédent du public : Guga restera à jamais dans la mémoire de ce stade. A l'heure où l'on s'interroge de sa délocalisation ou de la construction d'un nouveau stade, espérons que les esprits qui habitent désormais la Porte d'Auteuil resteront toujours bien présents.

Gustavo, le Petit Prince

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